UNE ALLIANCE
Nous trouvons une allusion à une alliance dans les quatre récits que nous possédons sur l’institution de la Sainte Cène. Voyons tout d’abord Matthieu26.27-28. Tandis que le Seigneur tend la coupe, après avoir rendu grâces, il dit à ses amis : « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. » Nous retrouvons des mots identiques en Marc 14.24. Dans la mesure où nous comprenons l’origine de nos Évangiles, il semble qu’il y ait eu une identité tant écrite qu’orale entre ceux de Marc et de Matthieu. Luc 22.20 exprime cela quelque peu différemment : « Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous. » Le sens reste bien entendu le même, quoique l’expression verbale ne soit pas identique.
Dans la Bible, le mot « testament » signifie une « alliance ». En fait, il existe un seul endroit (Hébreux 9.15-17), qui semble utiliser ce mot dans l’autre sens, c’est-à-dire celui des dernières volontés et du testament d’un homme. Nous devons normalement rendre ce mot « testament » par « alliance », car le concept d’alliance entraîne l’usage biblique de ce mot.
Le cadre historique
Ce concept d’alliance nous amène au coeur-même du contexte historique de la Sainte Cène. Son institution était liée à la célébration de l’alliance du peuple israélite (la Pâque), et nous n’aurons pas une estimation juste de la Pâque si nous minimisons le caractère d’alliance de cette cérémonie. Ceci étant, il nous sera utile tout d’abord d’examiner le cadre historique dans lequel se déroula la Sainte Cène.
Une question préliminaire, concernant un détail historique, s’impose à nous à cet endroit. Notre Seigneur, mangeait-il la Pâque de la façon instituée et véritable ou bien prenait-il part à une autre cérémonie ? Deux passages de l’Écriture nous posent ce problème. En Luc 22.15, après que les disciples soient allés préparer la Pâque et, « l’heure étant venue, [Jésus] se mit à table, et les douze apôtres avec lui. Il leur dit : J’ai désiré vivement de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir. » D’après cette phrase, il semble parfaitement clair qu’il s’agissait bien du vrai repas de la Pâque autour duquel notre Seigneur et ses disciples étaient assis. En ouvrant maintenant l’Évangile de Jean, au chapitre 18, nous découvrons des événements qui se passent après le repas décrit par Luc. Nous lisons en Jean 18.28 : « Ils conduisirent Jésus de chez Caïphe au prétoire : c’était le matin. Ils (les Juifs) n’entrèrent point eux-mêmes dans le prétoire (un sol païen, « cérémonialement » impur), afin de ne pas se souiller, et de pouvoir manger la Pâque. » De toute évidence, le moment de la Pâque était encore à venir pour ces chefs religieux juifs, et pourtant le passage de Luc (ainsi que le confirme la plupart des autres passages des Évangiles), indique que notre Seigneur prenait part au vrai repas de la Pâque le soir avant. Les théologiens se sont livrés à toutes sortes de conjectures historiques pour essayer de résoudre cette contradiction apparente. Certains ont supposé, quoiqu’il ne semble y avoir aucune preuve historique dans ce sens, qu’à cause des grandes foules rassemblées à Jérusalem à cette époque, les autorités permettaient que l’on observe la Pâque un jour plus tôt. D’autres émettent la possibilité que, lorsque deux sabbats arrivaient en même temps, l’on accorde une permission du même ordre. Mais ce ne sont là que des conjectures et, pour autant que je sache, aucune recherche dans l’histoire juive de cette époque du Nouveau Testament n’a été capable de fournir la solution authentique que l’on aimerait trouver à ce problème.
Je pense que nous devons accepter deux faits. Tout d’abord, que le souper auquel prit part notre Seigneur était vraiment le repas de la Pâque. Nous ne savons pas à quelle date, ni grâce à quelle permission juive ou dispense spéciale cela se passait, mais il est tout à fait évident que notre Seigneur participait à un authentique repas pascal. Deuxièmement, il est parfaitement clair que les Juifs n’avaient pas encore mangé leur Pâque. L’Écriture est catégorique sur ces deux faits qui semblent pourtant inconciliables en surface, et notre expérience nous a enseigné à ne jamais avoir peur de ce qui apparaît inconciliable. Avec les années et l’intervention de connaissances plus profondes, beaucoup de ces faits d’aspect contradictoire ont trouvé leur solution de la manière la plus simple et la plus plausible. Pour notre étude présente, nous pouvons accepter sans hésiter le fait que l’institution de la Sainte Cène eut lieu au cours du repas de la Pâque.
Le déroulement du repas
Autre chose concernant le caractère d’alliance de la Pâque, et d’un grand intérêt pour nous, consiste en l’ordre dans lequel se déroulait ce repas. Comme nous le savons, le repas se prenait allongé autour de tables basses. La plupart des détails de ce souper de la Pâque, tel qu’il avait lieu au temps du Nouveau Testament, nous sont familiers. Il suffira pour notre réflexion ici, de savoir qu’il y avait quatre coupes. Il y avait quatre moments rituels où l’on buvait dans la coupe pendant le repas de la Pâque. Ces quatre coupes se trouvaient intercalées avec le moment où l’on mangeait les herbes amères, le moment où l’on mangeait l’agneau, avec le pain qui l’accompagnait, et la question que posait le plus jeune membre de la famille présent : « Que signifie ce repas ? » (Exode 12)
Le repas de la Pâque dans la chambre haute entre le Seigneur et ses disciples dut sûrement suivre cet ordre caractéristique. Un examen attentif des récits semble suggérer que le Seigneur Jésus ne termina pas le repas pascal proprement dit. De nombreux commentateurs pensent que la Sainte Cène, dans son sens chrétien, se rapporte à la partie centrale du repas de la Pâque. Le pain que l’on mangeait avec l’agneau venait entre la seconde et la troisième coupe. Il s’agit de ce pain que le Seigneur consacra à un but nouveau et plus élevé.
Ce qui tend à prouver que le Seigneur institua la Sainte Cène à ce moment-là du repas de la Pâque, vient de ce que l’on appelait la troisième coupe « la coupe de bénédiction ». Nous nous souviendrons que Paul utilise cette expression en écrivant aux Corinthiens au sujet de la Sainte Cène. Il demande : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang de Christ ? » (1 Corinthiens 10.16)
A ce stade de notre analyse, le récit de Luc 22 est digne d’un peu plus d’attention. La partie principale va des versets 14 à 23, et ce compte-rendu de la Pâque et de la Sainte Cène fait mention de l’usage de deux coupes. Nous lisons au verset 17 : « Et, ayant pris une coupe et rendu grâces, il dit : Prenez cette coupe, et distribuez-la entre vous. » Puis, au verset 20 : « Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous. » Il s’agit bien ici de deux coupes différentes. Remarquons en passant qu’il y a, dans le texte original, une différence entre les deux verbes rendus par « prit ». Au verset 17, le verbe signifie spécifiquement « il reçut » la coupe. Cela faisait partie du rituel de la Pâque que la seconde coupe soit tendue au père de famille qui présidait le repas de famille. Nous allons parler de l’autre verbe dans un instant.
Ici donc, au verset 17, nous lisons qu’il reçut la coupe qui lui était tendue ; il la prit. Il s’agissait probablement de la seconde des coupes de la Pâque. Le rituel pascal est maintenant suivi avec précision et il ne semble pas y avoir de raisons pour penser qu’il ne s’agisse pas du repas cérémonial ordinaire qui se déroule jusqu’à la fin du verset 18. Il est possible qu’à ce moment-là il y ait eu une pause dans le repas. Un repas qui se prenait toujours avec une certaine lenteur, une pause pour la conversation survenant entre le moment de manger et celui de boire. Il est probable que Judas sortit pendant cette pause, après la deuxième coupe que s’étaient partagée les convives. Cela soulagea, sans aucun doute, le Seigneur et allégea le fardeau de tristesse qui pesait sur son cœur.
Nous pouvons rattacher à ce point, les récits de Matthieu 26.21-25 et de Jean 13.21-30. En Luc 22, nous n’avons pas tant un succession d’événements qu’un ordre de pensées. Matthieu 26 et Jean 13 décrivent certains événements, tels que la sortie de Judas après que Jésus lui ait tendu le morceau de pain trempé. Mais, au verset 19 du récit de Luc, une sorte de transition à peine visible vers la Sainte Cène semble prendre place. Notre Seigneur prend le pain qui était normalement utilisé à ce moment du repas de la Pâque et le consacre à un but nouveau. « Ensuite il prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous. » Le rituel de la Pâque reçoit maintenant une nouvelle orientation : celle de la Sainte Cène.
Au verset 20, nous trouvons les mots : « Il prit de même la coupe, après le souper. » L’expression « de même » relie cette action du Seigneur à ce qu’il vient de faire avec le pain. Le mot traduit par « prit » diffère du mot utilisé au verset 17 et implique la prise d’une initiative. Jésus fait, en quelque sorte, un pas de plus ; un nouveau pas. Il prend le pain et le distribue ; il prend la coupe et en fait une institution. Par cela notre Seigneur transforme la Pâque pour en faire le repas de la nouvelle alliance. La Sainte Cène consiste donc en un rite d’alliance.
Les deux alliances
Pour comprendre pleinement la signification de cela, nous devons nous rafraîchir la mémoire au sujet des deux alliances de grâce qui se trouvent dans la Bible. La première s’appelle « l’ancienne alliance ». Rappelons-nous que Dieu établit cette alliance de grâce avec Abraham. Paul explique dans les Galates que la loi, survenue quatre cents ans plus tard, n’en changea pas le caractère. Cette alliance de grâce faite avec Abraham et, en lui, avec le peuple d'Israël, comportait cependant des limitations très précises. Il s’agit de cette ancienne alliance dont il est question en Hébreux 9, dont nous examinerons le premier verset parce qu’il nous permet d’utiliser un certain qualificatif. Nous y lisons le mot « première ». « La première alliance avait aussi des ordonnances relatives au culte, et le sanctuaire terrestre. »
Si je puis me permettre de faire une digression ici, je ne crois pas qu’il y ait la moindre preuve scripturaire de ce que la théologie a appelé une « alliance des œuvres ». Vous ne pouvez pas trouver d’alliance des œuvres dans la Bible. Charles Hodge, lui-même, - l’un des plus grands théologiens du siècle dernier envers qui nous sommes grandement redevables – admet que l’on peut seulement en « déduire » l’existence. Les Puritains, qui avaient beaucoup à dire au sujet de l’alliance des œuvres, reconnaissent tous que l’on ne peut trouver cette alliance dans la Bible, mais qu’elle y est implicitement déductible. Je ne suis pas si sûr, toutefois, qu’elle soit déductible. On nous parle de deux alliances dans l’Écriture. Il s’agit de deux alliances de grâce ; l’une s’appelle la « première » (ou ancienne) alliance, l’autre la « nouvelle alliance ». La première alliance donnée à Abraham et, par lui, au peuple de Dieu, fut ratifiée à l’époque de Moïse ; ce que nous rapporte Exode 24.3-8. « Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles de l’Éternel et toutes les lois. Le peuple entier répondit d’une même voix : Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit. » Puis, « Moïse prit le sang, et il le répandit sur le peuple, en disant : Voici le sang de l’alliance que l’Éternel a faite avec vous sur toutes ces choses. » Ceci représentait la validation de la première alliance, mais, plus tard, elle fut suivie par la promesse de la nouvelle alliance. En Jérémie 31, nous lisons : « Voici, les jours viennent, dit l’Éternel, où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle » (v.31). « Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël, après ces jours-là, dit l’Éternel : je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur. ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Celui-ci n’enseignera plus son prochain. Ni celui-là son frère, en disant : Connaissez l’Éternel ! Car tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dit l’Éternel ; car je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché » (v/33). Voilà la nouvelle alliance.
Mais quelque chose manque ici. A l’inauguration de la première alliance, les termes furent d’abord énoncés, puis le sang fut répandu dont on aspergea le peuple pour ratifier l’alliance. Mais il y a quelque chose d’incomplet dans la relation que fait Jérémie de la nouvelle alliance. Il en énonce les termes, mais elle reste comme un document légal qui n’a pas été signé devant témoins. Il manque le sang qui la ratifie. Il nous faut attendre six longs siècles puis, dans une chambre haute à Jérusalem, Jésus annonce sa propre mort et, en tendant à ses disciples la coupe du souvenir, il leur dit : « Ceci est le sang de la nouvelle alliance. » Remarquons toute la portée de l’expression qui vient ensuite : « Qui est répandu pour beaucoup pour la rémission des péchés. »
Il s’agissait là des termes et des promesses de la nouvelle alliance décrite par Jérémie. Après des siècles d’attente, notre Seigneur dit en fait : « Voici la nouvelle alliance que je suis sur le point de ratifier par mon propre sang. » La Sainte Cène constitue ainsi le festin de la nouvelle alliance, et nous pouvons dire, en ce qui concerne notre recherche de son fondement historique, qu’elle a en partie accompagné et en partie suivi le festin de la Pâque. Le nouveau se greffe sur l’ancien et celui-ci expire dans le nouveau.
Puis-je me permettre de faire une autre digression ici ? Le mot « accomplir », que le Seigneur utilise au sujet de la loi et des prophètes (Matthieu 5.17), ne signifie pas simplement « faire » ou « arriver ». Le fait qu’une prophétie « arrive », ou que Jésus « fasse » ce que l’Écriture. annonçait, ne constitue qu’une petite partie de son accomplissement. Celui-ci ressemble plutôt au bouton qui devient fleur, qui, elle-même, se transforme en fruit. Ce fruit représente l’accomplissement de la promesse qui se trouvait dans la fleur. Ainsi, quand notre Seigneur déclare être venu pour « accomplir » les prophéties de l’Ancien Testament, nous ne devons pas simplement nous attendre à des correspondances extérieures entre une prédiction d’un côté et une action de l’autre. L’accomplissement consiste en un processus beaucoup plus riche et plus profond par lequel le Seigneur amène à la fructification tout ce qui se trouvait présent à l’origine seulement dans la graine des promesses et dans le germe des prophéties. C’est ainsi que l’ancien est accompli dans le nouveau. Notre salut repose sur « une alliance éternelle, en tous points bien réglée et offrant pleine sécurité. » (2 Samuel 23.5)
Ernest KEVAN
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