MÉTAMORPHOSE

 

 

 MÉTAMORPHOSE

 

« Il transformera notre corps misérable par le pouvoir

qu’il a de s’assujettir toutes choses. » (Philippiens 3.21)

 

          Un des moments les plus palpitants à observer dans l'évolution du papillon, c'est bien sa métamorphose ou son apparition comme être parfait.

          C'est ici que F. de Rougement se révèle comme un des plus fins et des plus sagaces observateurs de la nature. Il vaut la peine de citer ici, tout entière, une page trouvée dans ses notes.

          « La chrysalide, dit-il, présente d'avance la forme future du papillon. Quoique pleine d'un liquide informe, elle possède déjà tous ses éléments constitutifs, toutes les gaines solides dans lesquelles se formeront plus tard ses divers membres. Avec des instruments délicats, on aperçoit tout ce qui formera les ailes, les pattes, les yeux, les antennes. Pour la formation de l’œil nouveau, on voit un liquide crémeux, verdâtre, absolument amorphe. Ce n'est que plus tard, longtemps plus tard qu'il se formera, s'épaissira, se matérialisera. Et tout est déjà préparé d'avance. La chenille n'a point d'yeux et voici deux petites boucles, point de trompe et voici une longue gaine parfois extérieure, de même pour les antennes, les pattes et les ailes. Mais ce sont les yeux qui se forment avant tout.

          « Puis, sous l'enveloppe fine et transparente de la chrysalide, vous pouvez poursuivre de jour en jour le développement ; sous cette membrane la couche de pâte d'un blanc jaunâtre, en se desséchant, formera le fard, les petites plumes et les écailles colorées du papillon ; elle se durcit peu à peu, prend de la consistance ; déjà les franges se distinguent ; voici maintenant quelques traits formés qui apparaissent ; leur dessin se marque, voici des lignes, puis des taches, foncées ou claires, qui permettent de distinguer déjà le futur papillon, le rouge, le vert, le noir, le blanc.

          « Le papillon est prêt à éclore. Ne le touchez pas. Il aime le mystère. Il semble que rien que le fait de trop souvent le regarder, le mouvement de la boîte qu'on remue, le souffle de l'examinateur suffit à le faire périr. Le grand moment approche, la chrysalide devient plus fine, un liquide la pénètre, la rend légèrement humide, délicate, frêle comme du papier de soie, en même temps noirâtre. Vous ne voyez plus rien.

          « Mais nous touchons à l'instant critique. La voici qui se tend ; l'abdomen s'allonge et se raidit, les anneaux se marquent ; tout à coup un léger mouvement de la partie antérieure attire votre regard ; une fente s'est produite, la plaque triangulaire de la chrysalide qui recouvre le thorax, la tête et les pattes s'est fendue, au milieu, sur la nuque. Déjà le papillon s'entrevoit à travers la fente entrebâillée. Ici l'arrêt d'une ou deux secondes ; puis, un nouvel effort intérieur du papillon fait sauter toutes les coutures. De nouveau, un instant de repos. Maintenant, le papillon pousse sa tête en arrière, ses pattes en avant pour se débarrasser de la plaque triangulaire qui le gêne ; il dégage ses antennes, dégage ses pattes, saisit un objet quelconque ou bat les airs. La victoire est gagnée.

          « Pourtant encore un repos. Après tant d'efforts le nouveau-né a besoin de reprendre haleine. C'est fait ! il se sent assez reposé. Un dernier effort et les ailes se dégagent ; il se retourne sur son ventre et sort avec un effort vigoureux

de sa gaine. Le voilà éclos !

          « Mais il n'est encore qu'un vilain avorton, avec de simples moignons d'ailes ; bonhomme en petit veston. Il faut que les ailes se forment, grandissent. Après une course rapide et agitée que rien ne calme, le papillon a enfin trouvé l'écorce, la pierre, le brin d'herbe solide auquel il peut s'accrocher, perpendiculaire ou, encore mieux, suspendu. Le voilà maintenant tranquille ! Mais, de grâce, ne le gênez pas, ne le troublez pas dans l'acte si important qui va s'accomplir où il recevra ses ailes. Si on le dérange, il risque de rester estropié toute sa vie. Il le sent, on devine l'angoisse, le malaise qu'il éprouve s'il est dérangé, et avec quelle volupté il reprend son ancienne position immobile, les petits moignons d'ailes de chaque côté.

          « C'est la poussée de la sève qui va se faire ; un suc verdâtre, qu'il ne faut pas confondre avec le sang, car le sang fait vivre, tandis que ce suc n’a pour but que de développer les ailes, sortant comme une source abondante de je ne sais quelle poche cachée, monte à ce moment et pénètre tous les organes du papillon. C'est ce suc qui, en s'introduisant dans les ailes, les développe. En effet, les ailes ne croissent pas, dans le sens ordinaire du mot, il ne se forme pas une écaille colorée de plus ; c'est simplement la membrane qui se déploie, comme une étoffe fortement serrée et finement replissée qu'on étire et allonge démesurément. La sève, à mesure qu'elle pénètre dans tous les canaux, les ouvre, les étend, les allonge, les raidit. Le travail se fait lentement, mais à vue d’œil. L'extrémité des ailes reste encore étroite et serrée, elle a comme des boursouflures, des gonflements ; mais, peu à peu, la sève pénètre jusqu'aux extrémités ; le bord externe de l'aile s'élargit, enfin, à son tour. L'aile a tout son développement ; mais, molle comme du papier, mouillée, bosselée. Alors le papillon se trémousse, puis, soudain redresse ses ailes sur son dos, les appuyant les unes contre les autres et les serrant ferme, afin qu'elles deviennent bien plates et unies.

          « Cela a pris dix minutes depuis l'éclosion, parfois un quart d'heure. Pendant dix minutes, le papillon reste immobile, et encore, que nul ne le dérange : ses ailes, en retombant, prendraient un mauvais pli. Laissons-le tranquille, observons en silence et attendons. Si c'est un papillon de jour et s'il fait du soleil. ce ne sera pas long. En restant ainsi complètement immobile, les ailes étroitement plaquées l'une contre l'autre, le papillon paraît plongé dans un profond sommeil ou de vagues rêveries. Puis, il se remue tout à coup, il abaisse et étale ses quatre ailes, les élève et les rabaisse une couple de fois, mais comme si ce monde nouveau lui était parfaitement connu, il voltige un instant, puis se pose sur une fleur pour commencer sa nouvelle existence. Quel contraste avec son existence larvaire, alors qu'il ne savait que se traîner sur le sol ! »

          « Cela est étonnant, ajoute F. de Rougemont, merveilleux, admirable ! La nature, le monde des insectes en particulier, est incompréhensible, inexplicable sans les causes finales, écrites en lettres majuscules et comme en lettres de feu, jusque dans les moindres détails de notre organisme. Qu'on s'en tire comme on voudra, les causes finales existent incrustées avec une telle puissance, que rien, aucune critique ne parviendra à les faire disparaître. Elles triompheront toujours. On n'étudie pas cinquante ans la nature sans rencontrer partout ce mystère. »

          Nous n'avons rien à ajouter !

 

Alexandre MOREL

www.batissezvotrevie.fr

 

 

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