TENIR BON

 

  

TENIR BON

 

« La bouche flatteuse prépare la ruine. »

(Proverbes 26.28)

 

Je tiens d'un ami le fait suivant :

 

Un musicien de talent avait suivi les cours de deux professeurs de renom, également qualifiés mais pédagogues fort différents. Le premier, excellent violoniste, se montrait « bon papa » devant son élève. Un brave homme toujours satisfait qui ne ménageait ni les bravos ni les bonnes notes. Pour lui, tout allait bien, très bien même. Il croyait stimuler son jeune élève en le couvrant de louanges. Comme il exigeait peu, l'enfant se contenta de l'à-peu-près, se laissant vivre sans faire d'effort. Devenu adulte, l'élève dut avouer :

 

- Avec cet homme excellent, je n'ai pas fait de grands progrès et n'ai rien appris de solide. A peine l'élémentaire. Bref, il m'a fait perdre deux ou trois années et a failli ruiner mon avenir. A cause de cela, je lui garde une dent...

Le deuxième professeur était d'une autre trempe, l’opposé. Il se révéla impitoyable dès le début, dur par moment. Il ne tolérait pas la moindre défaillance et exigeait une exécution parfaite. Je redoutais ses leçons. Bien des fois, j’eus envie d'abandonner. Il m'arrivait de pleurer devant lui mais il se montrait toujours insensible. Mes larmes ne l'atteignaient pas, il ne les voyait pas. Pour une peccadille, je devais recommencer mes gammes, reprendre l'exercice au début et l'exécuter jusqu'à ce qu'il me dise « Assez ! Tournez la page ». J'avoue qu'il m'exaspérait souvent. Jamais un éloge. Très rarement un : « Ça peut aller ». Rien de plus. Sous sa houlette, j'ai grincé des dents mais, avec le recul du temps je dois reconnaître que cet homme m'a appris mon métier et m'a mené très loin. En somme, il m'a aimé plus que l'autre puisqu'il m'a donné davantage et le meilleur. Je ne puis penser à lui sans éprouver de l’admiration et une profonde reconnaissance ».

 

L'homme se forme par la peine. Ses vrais plaisirs, il doit les gagner et – chose qui coûte toujours – donner avant de recevoir ». Celui qui tenait ces propos* ajoutait : « Vous ne pouvez faire goûter à l'enfant les sciences comme on goûte des fruits confits ». Il est vrai que la discipline irrite, l'effort exigé sera toujours impopulaire et celui qui l'exerce et l'impose s’aliénera, dans l'immédiat, l'estime de l'autre. Peu importe : c'est la seule attitude vraiment formatrice. Elle procède de l'amour. Laissez certains psychologues de pointe traiter la famille de « milieu contraignant ». Restez insensible à leurs théories réputées généreuses et, sans faiblir, habituez votre enfant à prendre tôt le chemin étroit, présentement difficile et éprouvant. La voie large, agréable et aisée à court terme, mène à la perdition, dans tous les domaines. Avouez que la joie d'atteindre un sommet escarpé est infiniment plus exaltante que le vague bien-être ressenti par le paresseux somnolant, sans énergie au fond d'un fauteuil. Le maître flatteur sera méprisé avant longtemps. Il laissera le souvenir d'un médiocre, incapable d'apprendre l'élémentaire à son élève. C'est mal aimer son enfant que de lui épargner la lutte sous prétexte qu'elle lui arrache des « aïe » et des « ouille ».

 

Si votre fils se plaint de son instituteur jugé sévère et trop exigeant, riez sous cape : c'est bon ! II vous est utile et travaille à vos côtés pour former votre enfant. Ne le discréditez pas, ne prenez pas le parti de l'élève. Maîtrisez vos émotions. Ayez la volonté de ne pas céder. Encouragez votre gamin à poursuivre vaille que vaille, à serrer les dents plutôt que de gémir.

 

Considérez les familles que vous fréquentez de près ou de loin. Vous ferez certainement la constatation suivante : l'enfant élevé « dans le coton » se révèle rarement persévérant ; en tous cas, l'opiniâtreté n'est pas sa qualité première. Peut-être s'enthousiasmera-t-il au départ d'une nouvelle activité. Vous en serez étonné : « Enfin, il veut se donner à quelque chose » ! S'il manifeste le louable désir de jouer du piano, vous ferez bien de lui procurer l'instrument indispensable. Observez-le. Il attaquera ses premières gammes avec délice. Émerveillé de le voir si décidé, vous noterez des progrès. Ce départ en flèche vous comblera d'aise, mais si vous êtes un père faible, vous déchanterez très vite. Cet engouement prometteur sera bientôt suivi de lassitude,

le zèle du jeune prodige faiblira chaque jour davantage et l'application s'en ressentira du même coup.

 

S'il écourte des leçons et commence à gémir, n'en soyez pas surpris. Votre enfant vous attend ... là. Et parce que ses plaintes vous déchirent les entrailles – le pauvre chéri –  vous céderez une fois de plus et le fils abandonnera l'étude pour de bon. En tous cas, je vous prophétise qu'il ne sera jamais un virtuose même s'il est qualifié pour le devenir. Pourquoi ? Parce que l'enfant répugne à l'effort soutenu. C'est dans sa nature même. Et s'il n'a pas à ses côtés « la chance » d'avoir des parents qui lui résistent, il cessera de lutter et donc ne parviendra jamais à s'élever très haut. Il restera un médiocre, un être qui commence mais ne finit pas. Donnez toujours raison à votre rejeton, plaignez-le en pleurant avec lui et il ne fournira jamais sa mesure. Il manquera sa vie à cause de vous et vous reprochera bientôt de l'avoir faussement aimé.

 

Il est des familles – j'en connais – où les enfants pourtant doués et intelligents, n'ont pas été capables de décrocher le moindre diplôme ni d'atteindre des positions même moyennes. Ils sont restés fantaisistes, changeants, pleins d’idées saugrenues ... et pour cause !

 

Certes, les plaintes de nos enfants peuvent être justifiées. Le professeur peut exiger trop et par trop de rigueur, décourager pour de bon l'élève peu doué, lent à comprendre et à agir, allergique à la matière enseignée. Toutefois, je ne céderai pas trop vite à ses larmes ni à ses éclats de voix, restant  toujours lucide pour détecter, là où il se loge, le chantage ou la comédie, car le jeune est habile à mimer le martyre. Le philosophe cité plus haut disait : « Aussi longtemps que l'enfant résiste, je le tiens. Mais plutôt que de briser cette résistance, je m'emploie à la délivrer. J'ai pris l'habitude de considérer les hommes, lorsqu'il me plaît de les mesurer, non point au front ( peu importe qu'il se plisse ) mais au menton. Non point la partie qui combine ou qui calcule car elle suffit toujours, mais la partie qui happe et ne lâche pas »*.

 

Ceci dit, ne vous contentez pas de paraître satisfait si votre fils (ou votre fille ) est allé jusqu'au bout de sa tâche avec application. Surtout ne vous rengorgez pas en disant : « Enfin, je suis parvenu à obtenir de lui ce que je voulais…  ». C'est trop peu. S'il a bien travaillé, reconnaissez-le et dites-le lui clairement. Il doit savoir que vous appréciez son zèle et êtes conscient de sa bonne volonté. Ne manquez pas de le récompenser de temps à autre, surtout s'il est allé au delà de ce qui lui était demandé. Le zèle ne doit pas passer inaperçu. L'indifférence décourage et irrite. Elle n'est qu'une forme de l'injustice. Si l'armoire est bien rangée, montrez-vous satisfait et réjoui. Si le devoir est terminé avec soin, exprimez tout haut vos félicitations. Votre enfant n'a rien d'un ouvrier à la chaîne, personnage anonyme œuvrant sans joie, seulement nommé lorsqu'il commet une faute. Non, c'est un être cher dont vous poursuivez inlassablement les intérêts et le bonheur, avec le secours d'En-Haut.

 

André ADOUL

www.batissezvotrevie.fr

 

* ALAIN : Propos sur l’éducation (Presses Universitaires de France).

 

 

Les parents s’interrogent :

1. Appartenez-vous à la catégorie des parents faibles qui enlèvent tout obstacle devant leur enfant ? Prenez-vous habituellement son parti lorsqu'il se laisse abattre à la moindre difficulté ? Avez-vous raison de le protéger constamment ? Qu'en pense votre conjoint ?

 

2. Ne seriez-vous pas trop sensible aux plaintes de votre enfant ? Ne l'avez-vous pas, de la sorte, encouragé à gémir pour des riens et à abandonner la lutte trop facilement ? L'avez-vous aidé à tenir coûte que coûte ?

 

3. Quelle sera désormais votre ligne de conduite lorsque votre petit rechignera à la tâche ? Êtes-vous d'une même pensée à ce sujet ? Bénissez ensemble Celui qui vous aidera à discerner « quand » vous devez lui résister ... pourvu que, vous y soyez déterminés.

 

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